Une guerre, deux films


Tyler Durden (*)

Sujet tabou : la guerre moche, sale. Cette guerre qu'on tente par tous les moyens de nous faire oublier, nous assurant qu'elle est désormais propre, clean, qu'en plus des stratèges, les bombes aussi sont intelligentes... ou presque(1).
Actuellement, deux longs métrages s'inscrivent en faux avec cette vision politiquement correcte et détestable des conflits qui habitent le monde.
A aucun moment militantes, ces oeuvres témoignent et, de fait, dénoncent ; avec humanité et dignité pour " La chambre des officiers " et avec humour et tendresse pour " No man's land ".

La chambre des officiers

La Première Guerre Mondiale a suscité moins de scénarios que la Deuxième, mais ils nous ont offert des chef d'oeuvres tels que " La grande illusion " (2), " Les sentiers de la gloire " (3) ou plus récemment " Capitaine Conan " (4).

" La chambre des officiers " est à ajouter à la liste et à aller voir à la première occasion. Le sujet est délicat car encore sensible - du moins en France : les gueules cassées, nom donné aux blessés dont le visage a été déformé par les miracles de la technologie : shrapnels, bombes incendiaires et autre avancées humaines.
Les amateurs de grandes scènes de bataille à la " Soldat Ryan " (5)resteront sur leur faim puisque l'essentiel du film se déroule dans un hôpital accueillant les blessés du front, plus précisément dans la chambre des officiers. Là, Adrien, Eric et Pierre, tous trois mutilés, vont apprendre à revivre, à apprivoiser leurs nouveaux visages.

Si les images sont parfois dures et qu'il faut s'accrocher à son siège, on ne tombe jamais dans le voyeurisme ou le grand spectacle : nous restons face à des hommes, des êtres humains qui ne sont jamais réduits à des monstres de foire. Première force de l'oeuvre.
Au fur et à mesure que le l'histoire avance, les trois hommes vont accepter leurs nouvelles figures et nous aussi, posant un regard neutre sur elles. Nous aussi les avons donc apprivoisées. Deuxième force du film.

De plus, bien que le sujet semblerait à certains rêvé pour cela, à aucun moment il ne se laisse tomber dans la sensiblerie. A travers le jeu irréprochable et stupéfiant des comédiens (excellents jusqu'au plus petit rôle), nous apprenons que la guerre peut détruire beaucoup de choses, mais que la dignité humaine reste plus forte.

Et quelle force !

No man's land

Quelque part en Bosnie-Herzégovine, des soldats bosniaques avancent dans la plaine, de nuit et en plein brouillard. Au petit matin, ils se rendent compte qu'ils sont en face des lignes ennemies (serbes). Panique, le feu est ouvert, tous meurent sauf un, Tchiki, qui se réfugie dans une tranchée située au milieux des deux lignes. Côté serbe, on envoie une patrouille pour vérifier qu'il n'y a pas d'autre soldat ennemi dans la tranchée. Deux soldats partent dont un bleu, Nino.
Le premier se fait descendre par Tchiki, reste Nino , blessé que Tchiki épargne.

Les deux hommes sont ainsi perdus au beau milieu du no man's land qui constitue la ligne de front. Un troisième homme, un compagnon de Tchiki qui a survécu, complète le duo. Seul hic : on ne peut le bouger, il est posé sur une mine.

Face à ce problème et au fait que chacun des belligérant a un des siens dans la tranchée, ils font appel à la FORPRONU (6).

Voilà pour l'histoire.

Si l'on regarder plus loin, on apprécie d'une part des comédiens excellents et une mise en scène ingénieuse à plus d'un titre et l'absence de ton moralisateur ou partisan venant du réalisateur bosniaque (7) et d'autre part, une bonne dose d'humour, qui, ajoutée au cocasse de la situation, apporte un côté détaché au film et le prévient définitivement des schémas hollywoodiens. Quel bonheur !

Ajoutons que les casques bleus de l 'ONU, que les yougoslaves surnomment les " schtroumpfs ", nous font hurler de rire, tellement ils sont empêtrés dans leur bourbier bureaucratique. On s'aperçoit aussi que eux ne se comprennent pas (entre français, allemand et anglais - tous baragouinant ce dernier), alors que Serbes et Bosniaques se comprennent parfaitement, marrant non ?

Finallement, les médias en prennent aussi pour leur grade et ce film est une oeuvre réjouissante d'intelligence, analysant avec finesse, cynisme et tendresse le mécanisme d'une guerre.

Salutaire par les temps qui courent... sous les bombes.

1. On en doute parfois, notamment quand par deux fois des dépôts du CICR sont bombardés.
2. de Jean Renoir
3. de Stanley Kubrick
4. de Bertrand Tavernier
5. de Steven Spielberg
6. Nom quelque peu barbare attribué à la " force d'interposition et de maintien de la paix " dépêchée par l'ONU en Yougoslavie histoire de permettre à la communauté internationale de donner l'impression de faire quelque chose.
7. Tâchez de voir également - si ce n'est déjà fait - " Underground " de Emir Kusturica et " Baril de poudre " de Goran Paskaljevic, films serbes portant sur le même conflit.

* Tyler Durden est un pseudonyme. L'identité de l'auteur est connue de la rédaction.



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