Requiem for a dream


Tyler Durden (*)

“Qu’arrive-t-il à un rêve différé ? (…) Explose-t-il ?“ demandait, dans un de ses plus beau poèmes, Langston Hughes (1).

Son interrogation prend tout son sens à la vision de Requiem for a Dream. Ce deuxième long-métrage de Darren Aronofsky (2), qui co-signe le scénario avec l’auteur du roman initial (Hubert Selby Jr.), pulvérise les conventions hollywoodiennes établies pour les films traitant de la drogue. Il n’y est que peu question de vilains trafiquants et de gentils agents du FBI, mais des rêves que peuvent nourrir de jeunes toxicomanes pour s’en sortir. Les faire rêver, c’est en faire des êtres humains, c’est certainement ce qui n’a pas dû plaire à la censure américaine, qui s’est abattue sur cette perle noire du cinéma-réalité.
Le réalisateur ne se contente pas d’une seule dépendance d’ailleurs, et la télévision – drogue cathodique – est aussi prise pour cible dans ce regard critique sur la société américaine contemporaine. Autre raison pour se retrouver dans le collimateur des autorités.

Un couple de junkies, Harry (Jared Leto (3), méconnaissable) et Marion (Jennifer Connelly (4), elle vous tirera des larmes sincères), et leur ami Tyron (Marlon Wayans (5), meilleur que jamais) vont de galères en galères pour trouver leur came. Un jour survient l’idée de génie : acheter de la poudre pure, la couper soi-même et s’improviser dealer. De quoi ne plus jamais être en manque et ouvrir la petite boutique de mode dont rêve Marion, jeune étudiante styliste. Ils y croient, ils en rêve et le font.
Mais dealer, c’est entrer dans la cour des grands… et de la police. Première halte au mitard d’un des compères et voilà l’argent amassé volatilisé dans la caution de sa libération (on sent ici aussi poindre la critique du système judiciaire). Les voici de retour au point de départ, avec en prime un douloureux souvenir de rêve aux allures de cauchemar.

En parallèle, la mère de Harry (éblouissante Ellen Burnstyn (6)), suite à un courrier lui annonçant sa sélection pour une émission télévisée, se met en tête de maigrir à tout prix afin de pouvoir entrer à nouveau dans la robe qu’elle avait achetée pour la remise de diplôme de son fils unique. Elle sera prête à tout, dans l’attente insoutenable de sa convocation, même à prendre des pilules peu recommandables.

D’un charlatan à un psy peu scrupuleux, d’un mac pour orgies chiques à un présentateur vedette amoral, tous les sentiers sombres de la dépendance sont explorés à la lueur du faible espoir de l’utopie : prostitution, engueulades, maladie, racisme, violence, solitude… tout se suit et se ressemble, menant inexorablement à la destruction des rêves et des rêveurs, en trois saisons – l’histoire n’atteignant jamais le printemps. Tout est rythmé et orchestré d’une main de maître : le requiem est joué (7).

Les amateurs de happy end peuvent repasser, ils n’en auront pas l’ombre d’un, mais gagneront, s’ils persévèrent, une belle leçon de cinéma et de vie.





1. Ecrivain noir américain. Originaire de Harlem, il fut l’un des plus grands auteurs noirs de l’Entre-deux-guerres. Ses poèmes et ses nouvelles, engagés dans la lutte anti-raciale, gardent, malheureusement, toute leur actualité.
2. Révélé par Pi, son premier film, il est aussi scénariste. Sa mise en images du quotidien de ces jeunes drogués est une petite merveille, trop rare de son côté de l’Atlantique. Certains la trouveront trop « clip »… tant pis pour eux, on ne peut pas parler de ce fléau actuel avec un regard du siècle passé, ite misa est
3. On l’avait vu une année auparavant dans le mémorable Fight Club, autre critique cinglante de l’américo-américanisme, lui aussi décrié par une certaine critique (n’hésitant pas à le taxer de fascisme) et tombé sous le couperet de la critique
4. Etourdissante tant elle vous donne des frissons et vous émeut. Elle avait commencé jeune, à quatorze ans, sous la direction de Sergio Leone dans Once upon a time in America
5. Second rôle étonnant de précision et d’humanité, Requiem for a Dream lui a permis de « décoller ». Malheureusement, sa carrière s’oriente vers un cinéma moins utile et moins poignant (Scary Movie I, II et III)
6. On la connaissait comme la maman de la fillette de l’Exorciste. Récemment, on a pu entendre sa voix dans le très « gentil » Red Dragon. Vu son rôle de vieille américaine accro à la télé, il est intéressant de savoir qu’elle a eu sa propre série dans les années quatre-vingt, le Ellen Burnstyn Show… jouerait-elle en connaissance de cause ?
7. Merveilleusement accompagné par la musique de Clint Mansell, qui ne lésine pas sur les moyens en s’offrant les services du fameux Kronos Quartet, qui a depuis participé à la somptueuse bande originale de The Man Who Cried avec Johnny Depp.

* Tyler Durden est un pseudonyme. L'identité de l'auteur est connue de la rédaction.



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